Au Bénin, les " voleurs de sexe "

Le Monde 22/12/2001

A Cotonou, le quotidien " Le Matinal " a enquêté sur cette rumeur récurrente en Afrique de l'Ouest des " voleurs de sexe ".
Ses conclusions mettent en lumière non pas un fantasme mais une réalité: une vague de racisme meurtrière anti-Ibos.

Au Bénin, la poignée de main est un geste hautement risqué ces dernières semaines. Une étrange et meurtrière rumeur parcourt le pays, crée la panique et provoque des lynchages: des "voleurs de sexe" auraient le pouvoir de faire disparaître, par simple contact épidermique, les attributs génitaux des honnêtes citoyens (mâles). Le reporter du Matinal, quotidien édité à Cotonou, la principale ville du pays, raconte: " Marié et père de sept enfants, André Touhan, (…) travaillant actuellement au Port autonome de Cotonou, a. été fauché par la mort. Il a été brûlé vif. Ses tueurs l'ont accusé d'avoir fait disparaître le sexe d'un jeune homme du nom de Céphas Amégniahoué. Au commissariat central où il est gardé, ce dernier a expliqué comment la scène s'était produite. Alors qu'il marchait, son corps a effleuré celui d'André Touhan. C'est alors qu'il aurait senti un frisson lui traverser le corps. Aussitôt, il crie que son sexe a disparu. La foule se rue sur M. Touhan, le frappe et le brûle.."
Un électronicien, accusé d'avoir fait disparaître le sexe d'un apprenti menuisier, a eu plus de chance dans son malheur: " Coup de marteau sur la tête, jet de pierres, corps aspergé d'essence mélangée au sang coulant de sa tête, Pierre Acakpo a côtoyé la mort. Mais, inspiré par on ne sait quelle force, il a réussi à s'échapper en s'engouffrant dans la maison de ses cousins ", relate Le Matinal. En tout, plus d'une dizaine de personnes ont été victimes de ces séances de vindicte populaire. En une seule journée, cinq hommes ont été assassinés. Les journalistes du Matinal, sans doute secrètement taraudés par le doute dans un pays où culte vaudou et occultisme sont omniprésents, sont allés vérifier par eux-mêmes si la rumeur était fondée. Ils ont " ausculté " un homme prétendument victime du " vol " de pénis. "Au commissariat central, où nous l'avons interrogé, le sexe était bien en place. "
Tout le long de la côte ouest-africaine, la rumeur des " voleurs de sexe " est récurrente et traverse allégrement les frontières. Il y a environ cinq ans, elle s'était propagée du Congo en Côte d'Ivoire, en passant par le Cameroun et le Ghana. Ce sont très régulièrement les immigrés d'autres pays africains qui en font les frais. Cette fois-ci, ce sont les Nigérians d'ethnie ibo qui sont montrés du doigt et subissent des pillages. " Selon des témoignages, quelques individus se sont mobilisés pour chasser les marchands d'origine étrangère (...), qui ont dû prendre leurs jambes à leur cou, laissant derrière eux toute leur fortune. " Comment expliquer ces scènes d'hystérie collective?

Créer une psychose

Dans son dossier, Le Matinal, plutôt proche du pouvoir, évoque une fumeuse théorie du complot. " Le seul objectif de ces actions, c'est de créer une psychose pour rendre le pays ingouvernable. (…) Que des hommes politiques tapis dans l'ombre espèrent récupérer la situation pour crier haro sur le gouvernement et en tirer profit, nous osons ne pas y croire. " Dans son éditorial, le directeur de la rédaction explique plutôt le phénomène par la malveillance xénophobe. Il écrit: " Les Ibos n'ont qu'un tort. Celui de travailler dur pour gagner leur vie. Ils commencent vendeurs de chaussures, puis ils ouvrent une boutique, et après ils deviennent millionnaires. (...) Le Béninois, paresseux, ne voit pas la chose d'un bon œil. Au lieu de travailler pour égaler l'Ibo, il trouve en lui la cause de ses malheurs. Comme les Béninoises ne sont pas sottes et ne veulent pas mourir de faim, elles se jettent dans les bras des Ibos. Leurs copains ont alors importé "le vol de sexe", entendez "brûlez les Ibos". J'ai honte. "

Théophile Kouamouo