A propos des serrures bambara

Cyrille MORGOULIS in Arts d'Afrique Noire arts premiers Eté 2004 N° 130

Les Bambara, principale ethnie du Mali, comptent environ 3,5 millions d'individus.
Ils sont présents sur un vaste territoire situé au sud d'une ligne passant par les villes de Mopti et Kayes, à l'exception:
- à l'Ouest, des zones proches de la Guinée, peuplées de Malinké;
- à l'Est, des zones voisines de la Cote d'Ivoire et du Burkina Faso habitées, du Sud vers le Nord, par des Sénoufo, Bobo et Dogon
Cote d'Ivoire

Les références:
Deux documents, basés sur des entretiens avec des forgerons et sur les observations in situ de l'auteur, ont fourni l'essentiel des informations contenues dans le présent article. Ils s'intitulent respectivement:
- Introduction il l’étude des serrures bambara par Paule Tési, publié en 1972, à l'issue d'un séjour de trois mois passé dans la région de Keleya. Ce village, situé à environ 100 km au sud de Bamako, sur la route de Bougouni, était considéré comme un centre important de production de serrures.
- Door locks of the Bamana of Mali par Pascal James Imperato qui a présenté dans un ouvrage publié en 2001 la synthèse de ses investigations sur les serrures bambara.
Ces investigations ont débuté lors d'un séjour effectué au Mali de 1966 à 1971 ou P.J. Imperato a résidé dans le cadre d'un programme d'éradication de la variole. Elles se sont poursuivies pendant près de deux décennies jusqu'en 1990 grâce à plusieurs missions au Mali et aux informations complémentaires communiquées par deux collaborateurs maliens.
Les enquêtes réalisées sur le terrain il y a plus de 30 ans auprès des « anciens» de cette époque confèrent aux données collectées par ces deux auteurs une bonne fiabilité. La réalisation aujourd'hui d'un travail similaire conduirait, en raison de la disparition progressive des traditions, à des résultats très aléatoires.

La description d'une serrure
Il existe, chez les Bambara, de nombreux termes pour désigner une serrure. Le plus courant est « konbarabara » (littéralement « protubérance de porte»).
Une serrure est constituée de deus pièces disposées en croix comprenant un élément vertical, le coffre, fixé à la porte à l’aide de deus fers et un élément horizontale, la traverse ou le pêne.
Le pêne est creux afin de permettre l'introduction de la clef. Il comporte dans sa partie supérieure, au contact avec le coffre:
- des petites cavités d'un diamètre de 6 à 8 mm dans lesquelles s'engagent, lors de la fermeture, des broches en fer;
- une plaque métallique qui assure une protection contre une usure rapide liée au fonctionnement de la serrure. La présence de cette plaque n'est toutefois pas systématique; en particulier certaines serrures réalisées en bois très dur n'en possèdent pas.
La traverse coulisse dans une cavité exécutée dans l'épaisseur du coffre. Pour fermer la porte, la traverse est poussée à la main et les broches appartenant au coffre tombent dans les cavités de la traverse qui est alors bloquée. Dans le même temps, l'extrémité gauche du pêne s'engage dans un trou pratiqué dans l'encadrement de la porte qui est ainsi fermée.
Le nombre de broches par serrure varie d'un à quatre. On compte en général deux broches sur les serrures anciennes tandis que les serrures les plus récentes n'en comportent souvent qu'une seule.
La clef, entièrement métallique (cas le plus fréquent)
ou en bois avec des dents en fer, est engagée à l'autre extrémité du pêne. Les dents de la clef, orientées vers le haut, repoussent les broches en prenant leur place dans les petites cavités du pêne. On peut alors, pour ouvrir, tirer horizontalement le pêne qui se dégage du dormant de la porte.
La porte s'ouvre en général vers l'intérieur du local. La serrure est fixée sur la partie gauche de la porte (très rarement à droite). L'extrémité droite de la traverse est ouverte afin de permettre l'introduction de la clef. L’aces de la clef dans la traverse est soit vertical (cas le plus fréquent) grâce à une cavité de section rectangulaire (environ 4 cm sur 2 cm) soit latéral suivant l'axe de la traverse.
L'extrémité gauche du pêne présente une section réduite et a la forme d'un cylindre, d'un cône ou d'une pyramide allongée aux arêtes plus ou moins arrondies.
Les cavités qui reçoivent les broches du coffre sont en règle générale alignées suivant l'axe longitudinal du pêne.
Mais certaines serrures, parmi les anciennes, possèdent deux cavités placées perpendiculairement à cet axe.

Les dimensions courantes
La hauteur de l'élément vertical comprenant le coffre et le motif sculpté varie entre 30 cm et 1 m (voire plus pour certaines représentations de crocodile). Cet élément présente couramment une longueur comprise entre 40 cm et sa cm. Sur les modèles les plus anciens la hauteur totale est souvent inférieure à 40 cm.
La traverse est en général plus petite ou sensiblement de même dimension; mais elle peut être plus grande, ce qui nuit à l'aspect esthétique.
Les serrures remplaçantes, qui ont le plus souvent moins d'une vingtaine d'années d'ancienneté*, sont en général plus grandes: de l'ordre de 80 cm. Elles sont souvent plus « spectaculaires », comme celles qui représentent un personnage complet avec jambes et bras.
Certaines de ces serrures s'écartent nettement de la tradition pour avoir été fabriquées à l'Artisanat de Bamako puis placées « en élevage» en brousse afin d'y acquérir une « patine d'usage» convenable.
À l'inverse de ce qu'on observe chez les Dogon, il n'est pas rare de trouver chez les Bambara des serrures fabriquées en bois léger. Toutefois elles sont en général exécutées dans un bois dur, provenant selon P.J. Imperato d'essences comme le Ficus capensis (toro), le Khaya senegalenszs (dala), le Caicedrat, le Diospyros mespiliformzs (sunsun), le Lannea acida (bembe) et le Cola cor diJoUa (ntaba).

La propriété des serrures
Bien que les serrures puissent être utilisées aussi bien par les hommes que par les femmes, les serrures appartiennent en propre souvent aux femmes: on a identifié plusieurs circonstances d'attribution.
Elles peuvent être offertes aux femmes par leur mari, pares la naissance du premier garçon. La pose de la serrure correspond alors, selon la tradition, à l'accession pour l'épouse à un nouveau statut social, celui de « femme majeure» c'est-à-dire de mère d'un enfant mâle. Cette pose a lieu, lors de la cérémonie du « senkuturu » ou les trois pierres du foyer qui symbolisent les trois éléments (père-mère-enfant) de la famille, sont placées dans la concession du mari.
D'autres serrures sont données par les maris en signe d'affection et d'estime, lorsque les jeunes femmes s'installent dans le village de l'époux.
Une autre pratique consiste à remettre à la jeune fille une porte avec sa serrure, au moment ou elle quitte la maison de ses parents, pour habiter dans une case construite par le mari.
Ces serrures font partie des biens personnels' de la femme et sont transmissibles aux héritiers de même sexe, en l'occurrence les filles et les brus.

1 Ce type de serrure est relativement courant, il représente, d’après P.J. Imperato, la tête stylisée d'un ancêtre masculin, figurée par une arête nasale au centre d'un visage triangulaire. Il rappelle également à la fois le bonnet porté par le prêtre de la socié-té du koto lors de la cérémonie du bambada et les mâchoires ouvertes du crocodile. Cette serrure est caractérisée par un motif sculpté de dimension voisine de celle du coffre et par une épaisse croûte granuleuse noire. Elle paraît relativement ancienne (fin 19 siècle ?) et proviendrait de la région du Djitoumou (sud-est de Bamako, Cercle de Bamako). D'autres serrures du même type, mais avec une tête plus petite ont été trouvées dans l’arrondissement de Bougouni. On note la présence sur le coffre et la traverse d'un décor géométrique dessinant un quadrillage fin, complété par quelques incisions horizontales sur 1e nez du personnage. La serrure possède 2 broches de fixation. L’introduction de la clef est verticale. H : 48 cm
Serrure bambara
2 D'après Paule Tési cette serrure provient du Banan (région de Keleya, Cercle de Bougouni). Selon la légende elle aurait été sculptée à la demande de Nanténé, une femme malheureuse au sein de sa famille, pour représenter sa vie. Elle est caractérisée par une arête centrale dentelée, est ornée de grandes croix dessinées a l'aide de 2 lignes parallèles, au nombre de 3 sur le coffre et de 2 sur la traverse. La patine est noire. Il existe 2 broches de fixation. L'introduction de la clef est verticale. H : 48 cm.
Serrure bambara
3 Cette élégante serrure, recouverte d'une patine noire croûteuse, présente deux longues cornes qui encadrent une tête dont les traits sont finement dessinés. Elle repose sur un long cou légèrement saillant. L'ensemble du cou et des cornes s'incline vers l'avant. Le coffre, ovale, est légèrement bombé tandis que deux croix superposées, matérialisées par une double incision, sont gravées sur toute sa longueur. Ce motif est rappelé sur la partie gauche de la traverse dont le bord inférieur est nettement incurvé en raison d'un long usage. Les broches de fixation, au nombre de 3, ne sont pas alignées. L'introduction de la clef est verticale. Le traitement du visage, la patine, la position des broches et l'usure de la traverse témoignent de l'ancienneté de cette serrure (fin 19 siècle ?). H : 49cm.
Serrure bambara
4 Cette exceptionnelle serrure, sculptée comme une statuette, représente un personnage féminin dont le buste allongé a la forme d'un demi-cylindre. Les bras et les jambes dessinent un demi-cercle. Le cou, conique dans sa partie supérieure, se prolonge d'une tête étroite surmontée d'une crête ajourée. L'extrémité droite de la traverse se termine par une rare tête de serpent, qui équilibre l'élément cylindrique au dispositif de fermeture de la porte présent a gauche. La patine est grise. Il n'existe qu'une seule broche de fixation. L'introduction de la clef est verticale. Quelques fines incisions sont visibles sur la traverse. En revanche le coffre ne possède aucun décor gravé. La serrure fermait l'entrée d'une case collective du cercle de Kita. On ne connaît que quelques exemplaires de ce type provenant tous de la partie occidentale du pays bambara. H : 61 cm.
Serrure bambara
5 La serrure présente un personnage masculin coiffé d'un chapeau à trois pans. Le visage stylisé est matérialisé par une simple arête nasale. Le cou en relief rappelle les enseignements du komo. Le coffre et la traverse ne comportent aucun décor pyrogravé. Il existe 2 broches de fixation avec une introduction latérale de la clef. Il semble que cette serrure réalisée dans un bois dur n'ait jamais comporté de plaque métallique de protection sur la partie supérieure de la traverse, en contact avec le coffre. La patine est noire avec des zones de couleur brune à rougeâtre, liées à l'usage, au droit des arêtes du nez et de la coiffe. H : 40cm.
Serrure bambara
6 Cette serrure trouvée dans la vallée du Bani, entre les villes de San et de Djenné, est caractéristique des fermetures bozo. Celles-ci présentent un personnage à face triangulaire avec une arête nasale en fort relief, des yeux latéraux coniques, un cou saillant, un large coffre avec un nombril proéminent et de courtes jambes. Le coffre et la traverse sont richement décorés de motifs géométriques. Il existe 5 broches de fixation. L'introduction de la clef est latérale. Bien que d'origine bozo, cette serrure a été choisie en raison de sa conception cubiste et de sa ressemblance avec les serrures bambara. Toutefois la forme de la traverse, le nombre élevé de broches (5) et le mode d'introduction de la clef rappellent plutôt les serrures dogon. Cette double ressemblance a conduit certains auteurs à attribuer à tort ce type soit aux Bambara (if. la publication du Rietberg Museum sur les Bamana), soit aux Dogon (if, l'ouvrage publié en 2003 sur les Serrures du pays Dogon), H : 39 cm.
Serrure bambara
7 La tète stylisée de cette jolie serrure à patine noire est fortement en relief. Elle émerge d'une base en U légèrement ouverte orné latéralement de deux petites cornes recourbées vers l'avant. Le cou est saillant. Le coffre et la traverse présentent des pyrogravures très semblables faites de trois croix en double incision avec des séries de lignes horizontales sur le coffre et verticales sur la traverse. On dénombre 3 broches de fixation non alignées. L'introduction de la clef est latérale. La finesse de la sculpture, sa taille et la disposition des broches indiquent qu'il s'agit d'une serrure relativement ancienne (fin 19 siècle ?). H :33cm
Serrure bambara
8 Cette serrure montre un personnage féminin avec une poitrine légèrement bombée pour marquer les seins et un corps étroit élargi au niveau des hanches. Le visage qui présente un front hémisphérique et un nez triangulaire est caractéristique de la statuaire bambara. La coiffe s'inscrit dans un cercle avec une arête centrale au-dessus du crâne du personnage. Le cou est légèrement saillant. On note 2 broches de fixation tandis que l'introduction de la clef est verticale. La patine grise alterne avec une patine d'usage de couleur jaune sur la tête et le haut du corps. Absence d'incisions sur le coffre et la traverse. H: 46 cm.

L'utilisation et l’exécution des serrures
Les serrures sont affectées à la fermeture de bâtiments à usage civil ou religieux:
- les cases sanctuaires ou sont conservés les objets sacrés, les reliques des ancêtres et les masques des sociétés de culte;
- les cases à usage domestique: les chambres à coucher, les greniers et les cases-cuisine ou les femmes gardent leurs calebasses et autres ustensiles ménagers.
Les serrures bambara étaient exécutées par les forgerons à la demande d'un client. Le choix du motif sculpté et des pyrogravures étaient le fait du client après avis du forgeron. D’après P.J. Imperato elles n'étaient jamais exécutées puis proposés à la vente sur les marchés, à l'inverse de ce qui a été parfois observé pour les serrures dogon.

Le symbolisme
Selon Viviana Pâque ("Les Samaké" Bulletin I.F.A.N. 1956) : le coffre de la serrure représenterait la femme et le pêne l'homme. La clef symboliserait l'entente des deux sexes et les broches la consommation du mariage. Ainsi l'ensemble des éléments d'une serrure célèbre le mariage et la fécondité du couple.
D’après Paule Tési, cette interprétation est confirmée chez les Bambara par la forme de la traverse et par les termes utilisés:
- « ba » (mère) désigne le coffre de la serrure,
- «Ja » (père) désigne la traverse,
- la partie évidée du coffre ou circule le pêne s'appelle « naka », c'est-à-dire le bas-ventre,
- la surface supérieure de la partie évidée est désignée par « soroyoro », soit le vagin,
- les clous du coffre et les dents de la clef sont respec-tivement appelés «Ja kili» (c'est-à-dire œuf de la mère) et « ba kili» (c'est-à-dire œuf du père).
Ainsi l'introduction de la clef symboliserait la fécondation.

En outre, d’après Youssouf Cissé, les dents de la clef, traditionnellement au nombre de deux, représenteraient les hémipénis du margouillat, lézard appartenant à la cosmogonie des Bambara.

Serrure bambara
9 Cette serrure dont la coiffe du personnage retombe de part et d'autre du visage en deux longues tresses avait probablement pour objet de rappeler la légende de la reine Kaba Sira Kamara. Le visage, surmonté par un front en demi-cercle, forme un petit trapèze dont le nez et la bouche suivent l'axe central. Il est prolongé par un cou saillant. Le coffre s'inscrit dans un rectangle; légèrement plus étroit au centre il est partagé par une arête médiane et présente de part et d'autre de cette arête deux surfaces gravées d'une double ligne en zigzag formant un angle très ouvert. La traverse, faiblement décorée, est bloquée par 2 broches de fixation; l'introduction de la clef est verticale. Le rare motif sculpté présent à l'extrémité droite de la traverse rappelle le petit cylindre du sommet de la coiffe. H : 47 cm.
Serrure bambara
10 La tête du personnage est représentée par une sphère presque parfaite avec la bouche en demi-cercle. L'absence d'oreilles rappelle le dieu Faro qui n'en possédait pas. Le cou supporte un goitre qui se projette vers l'avant à la manière des masques Songyé. La partie inférieure du coffre se prolonge par deux jambes sans pieds. Les broches de fixation sont au nombre de 2. L'introduction de la clef est latérale. La traverse ne comporte pas de décor pyrogravé, tandis que les dessins géométriques sur le coffre se limitent à 4 groupes de 3 à 7 incisions horizontales. La patine est noire, à l'exception de la tête et de l'extrémité du goitre ou apparaît une patine d'usage de couleur brune. Provenance le Cercle de Koulikoro. H : 39 cm.

Serrure bambara
11 Cette serrure semble provenir du même atelier que la serrure n010. La moitié supérieure de la tête qui s'inscrit dans une demi-sphere repose sur une base polyédrique. Un demi-cercle figure la bouche. Le coffre, bombé, est divisé en trois surfaces courbes séparées par des arêtes. La tête sans oreilles rappelle le dieu Faro. De même la partie inférieure du coffre qui symbolise une queue d'hirondelle, le messager du Faro, fait référence au pouvoir du dieu. La patine est noire sauf sur la partie supérieure de la tête et sur les arêtes du coffre ou apparaît une patine d'usage brun rouge. Absence de pyrogravure. La fermeture est assurée par 2 broches de fixation de la traverse. L'introduction de la clef est latérale. Provenance: le Cercle de Koulikoro. H: 35 cm.
Serrure bambara
12 Cette serrure représente un personnage féminin. Le visage dessine un cercle. Le nez et la bouche s'inscrivent dans un demi-ovale en relief. Le cou rectiligne repose sur un buste hexagonal portant deux seins. La patine est noire et croûteuse. La croûte masque le décor gravé sur le coffre. Présence de deux croix sur la traverse. La fermeture est assurée par 2 broches. L'introduction de la clef est verticale. Provenance: l'arrondissement de Bougouni. H : 45 cm.
Serrure bambara
13 Cette serrure est caractérisée par une petite tête à l'extrémité d'un long cou crénelé et de très courtes jambes témoignant de la fantaisie du sculpteur. Le coffre présente trois croix en triple incisions. Sur la traverse, ces croix au nombre de deux sont complétées par des incisions verticales. La patine est noire. L'introduction de la clef est verticale. Le coffre possède 2 broches de fixation. H : 46 cm.
Serrure bambara
14 Cette serrure anthropo-zoomorphe présente une tête s'inscrivant dans un quart de cercle encadré par deux cornes, un cou cylindrique, un long coffre avec deux petits seins et une double échancrure ou s’insèrent 2 traverses, et a la partie inférieure deux courtes jambes. Tous ces éléments sont richement décorés par des croix, des losanges et des incisions horizontales et verticales. La patine est grise. L'introduction des clefs est horizontale. Les serrures présentant une double traverse ne sont pas fréquentes chez les Bambara. Chaque traverse est ici fermée à l’aide de 3 broches dont l'écartement n'est pas identique. Cette serrure permettait probablement d'accéder à une case collective et l'ouverture de la porte sur laquelle la serrure était fixée devait nécessiter l'utilisation de 2 clefs différentes et la présence de deux personnes. Provenance: le Cercle de San. H : 57 cm.
Serrure bambara
15 Cette serrure est chargée de symboles: la tête triangulaire représente le bonnet du prêtre du komo lors de la cérémonie du bandama, et les mâchoires du crocodile; le cou saillant fait référence aux enseignements du komo; la partie inférieure rappelle la queue du scorpion et les circonstances de la mort de Mousso Koroni, personnage mythologique bambara. Le coffre est demi-cylindrique. Seule la traverse est décorée. Les incisions dessinent des croix et des quadrillages. La patine est grise, l'introduction de la clef verticale. Il y a 2 broches de fixation. H : 54 cm.
Serrure bambara
16 Cette serrure montre un personnage féminin dont la tête, réalisée dans un style cubiste, est typique de la statuaire bambara. Des incisions horizontales, verticales ou obliques caractérisent le coffre et la traverse. La fermeture est assurée par 2 broches, l'introduction de la clef est verticale, la patine est grise. H: 38 cm.

La sculpture et les décors pyrograves
En règle générale, toute serrure comporte une sculpture et un ensemble abstrait de signes géométriques.
Un motif sculpté est toujours présent à la partie supérieure du coffre. Ce motif est anthropomorphe, animalier ou abstrait; il peut aussi symboliser un objet. Les animaux les plus représentés sont le crocodile, le lézard, l'iguane et la tortue. On peut également reconnaître un hibou, un papillon, une chauve-souris, un escargot ou un poisson.
Il existe une très grande variété de motifs sculptés en raison de la dispersion géographique des Bambara et surtout du très grand nombre de symboles représentés. De nombreuses serrures sont associées aux principales sociétés initiatiques, bases de la formation civique et religieuse des individus. Ainsi, une serrure peut avoir pour objet de rappeler le savoir ésotérique du komo, la cosmogonie, l'histoire ou la mythologie, l'organisation sociale...
Certaines serrures représentent un héros, un personnage historique, un génie de la brousse, un animal appartenant au panthéon de la religion...
Sur le coffre et sur le pêne figure un décor abstrait, gravé au fer rouge. Les pyrogravures de la traverse rappellent en règle générale celles du coffre qui est souvent plus richement décoré. Elles sont liées aux croyances et aux valeurs des Bambara et ne répondent pas à un objectif esthétique. Leur présence n'est toutefois pas systématique et certaines serrures n'en possèdent pas. Dans certains cas seul le coffre ou la traverse est gravé.
La connaissance de ces signes est acquise au cours des enseignements traditionnels des sociétés initiatiques, en particulier ceux du komo et du kore. Ils sont lisibles par les seuls initiés.
Certains types de pyrogravure devaient nécessairement figurer sur les serrures appartenant aux femmes, dont elles garantissaient la fécondité.
La croix en X couchée ou verticale, à simple, double ou triple incision et les quadrillages à base de losanges constituent les dessins les plus couramment reproduits.
La croix représente à la fois l'univers et l 'homme ainsi que la fertilité et les quatre directions de l'espace céleste. Le quadrillage représente les eaux créatrices, les fluides de la procréation et également les quatre points cardinaux.
L'aspect fonctionnel et utilitaire des serrures est secon-daire, comparé aux nombreuses autres fonctions. Elles ont le pouvoir de lutter contre la sorcellerie et les forces du mal; elles ont un rôle éducatif ou philosophique; elles peuvent rappeler un événement historique, certains conflits sociaux, les légendes de la création de l'Univers ou les croyances religieuses. Par leur fonction éducative, elles créent un lien entre les générations. Elles expriment et concentrent la philosophie et les croyances intimes des Bambara concentrent la philosophie et les croyances intimes des Bambara.

Les principaux thèmes évoques
De nombreuses serrures représentent le bonnet porté
par le prêtre de la société du komo lors de la cérémonie du « bambada » ou « gueule de crocodile» (se reporter à la photo n° 1). Cet animal qui appartient à la mythologie des Bambara est étroitement associé à la société initiatique du komo et à ses pouvoirs contre la sorcellerie et les puissan-ces maléfiques.
Les figurations humaines font référence à un ancêtre, à un héros dont on veut célébrer les exploits, à un personnage historique ou de la mythologie des Bambara...
Certaines sculptures rappellent la dynastie des rois Keita de Kaba. D' apres Paule Tési, elles ont été exécutées en l'honneur de la reine Kaba Sira Kamara, femme exceptionnelle décrite dans les fables et contes traditionnels. Selon le désir de la reine la serrure évoque sa coiffeuse attitrée, Marama Bagayoro, coiffée du « tamamba » (littéralement « les grandes tempes»). Cette coiffure, spécialité de Marama, qui présente deux longues tresses retombant de part et d'autre du visage, comme sur la serrure n° 9, constitue un thème récurrent de la statuaire bambara.
D'autres représentations féminines rappellent « Mouso Koroni Kounjé » (littéralement la petite vieille femme à la tête blanche), personnage mythique qui lors de la Création se révolta contre Dieu et dont les excentricités ont engendré des désordres et des malheurs dans l'univers. Elle mourut de la piqûre d'un scorpion.
Certaines serrures comportent à la partie inférieure du coffre un motif qui symbolise la queue du scorpion et rappelle les circonstances de la mort de Mouso Koror1i (if. photo n° 15).
Certains thèmes matérialisent un personnage masculin qui peut être un héros légendaire, un ancêtre célèbre, un acteur des fables et contes bambara. Ce personnage peut être présenté avec ou sans oreilles. L'exécution d'une tête ronde sans oreilles fait alors référence au dieu Faro qui n'en possédait pas. Faro est une divinité, le maître de l'eau, qui apporte un équilibre et une harmonie au monde et à la vie des hommes.
Le crocodile ou le lézard, animaux liés au dieu Faro, figure sur de nombreuses serrures. Le crocodile est associé au « Faro» lors de la Création. Il symbolise la puissance de ce dieu, assure la protection contre les forces du mal et favorise la fertilité, la santé et le bonheur.
Les serrures qui évoquent le thème de l'orphelin sont destinées à rappeler les devoirs d'assistance que se doivent les membres d'une même communauté. Le motif sculpté est alors caractérisé par le bonnet à trois pans et le collier que portait l'orphelin. La serrure n° 5 qui présente un bonnet à trois pans avait peut-être pour objet de rappeler ce thème, malgré l'absence du collier.
Parmi les formes symboliques couramment rencontrées il faut mentionner:
- le cou saillant qui a pour objet de rappeler le savoir et les enseignements du komo ;
- les motifs triangulaires exécutés à la partie inférieure du coffre qui évoquent la tête du python, symbole de puissance et de protection contre la sorcellerie;
- les cornes de part et d'autre d'une tête humaine qui peuvent représenter soit les ailes de papillon, animal mythique que Dieu a transformé en une des plus légères et futiles créatures pour le punir de sa prétention, soit deux mâchoires de crocodile, soit des tentacules d'escargot, animal inoffensif associé à la société d'initiation du kore qui enseigne aux hommes qu'ils subiront de nombreuses réincarnations (les initiés du kore sont l'objet de morts symboliques, qui comme les tentacules de l'escargot ne provoquent aucun dommage physique), soit d'autres thèmes...
L'extrême symbolisme des formes, la fantaisie et l'imagination des artistes ainsi que la perte des traditions rendant actuellement très délicate la collecte d'informations fiables sur le terrain, font qu'il est souvent difficile de comprendre la signification d'une serrure et que plusieurs interprétations sont possibles.

17 Le motif sculpté est antropo-zoomorphe. Le visage, qui s'inscrit dans un demi-ovale avec un nez triangulaire et une petite bouche rectiligne, est encadré de deux cornes. La tête repose sur un cou de forme hexagonale. Le motif triangulaire situe à l’extrémité inférieure du coffre symbolise la tête du python, qui assure une protection contre la sorcellerie et les forces du mal. Seul le coffre est pyrogravé. Le décor est constitué de deux quadrillages fins limités par des incisions horizontales. La serrure est recouverte d'une croûte noire. La fermeture est assurée par 2 broches. L'introduction de la clef est verticale. H :45 cm.
Serrure bambara
18 La tête du personnage est surmontée d'une coiffe triangulaire percée de 5 trous qui devaient permettre d'accrocher des éléments décoratifs. Elle repose sur un long cou saillant. Le coffre rectangulaire porte à la partie inférieure deux petites jambes. La patine est noire, croûteuse, la fermeture assurée par 2 broches avec introduction verticale de la clef. H : 41 cm.
Serrure bambara
19 Cet exemple de serrure ni anthropomorphe ni animalière présente un motif sculpté qui rappelle une écuelle. Absence de dessins géométriques sur le coffre et sur la traverse. Une patine d'usage alterne avec une patine noire légèrement croûteuse. La fermeture est assurée par 2 broches. L'introduction de la clef est verticale. H : 42 cm.
Serrure bambara
20 Cette étonnante serrure représente un personnage féminin avec des symboles animaliers. La tête montre une bouche largement ouverte, deux éléments métalliques au fond des yeux et une petite crête horizontale. Elle est encadrée par deux ailes de papillon et repose sur un cou constitué d'un double cône. La partie inférieure du coffre, bombée, constitue le ventre du personnage. Elle est surmontée d'un buste trapézoïdal portant deux seins. La sculpture sous le coffre a la forme d'une queue d'hirondelle qui, dans la mythologie bambara, est le messager du dieu Faro. Seule la partie bombée du coffre possède des dessins géométriques. Une patine d'usage apparaît sur la tête, le coffre et la traverse. La fermeture est assurée par 2 broches. L'introduction de la clef est latérale. H : 35 cm.

La comparaison avec les serrures dogon
Les serrures dogon présentent des motifs sculptés qui peuvent être très spécifiques aux Dogon (comme le couple assis au sommet du coffre) ou des sculptures qui rappel-lent les serrures bambara. Dans ce cas, l'attribution de la serrure est possible en observant la traverse et ses broches de fixation:
- l'extrémité gauche de la traverse est étroite chez les Bambara alors que les traverses dogon s'inscrivent grosso modo dans un rectangle.
- Les pênes dogon sont toujours ouverts à leur extrémité droite pour une introduction latérale de la clef alors que chez les Bambara la clef peut être introduite verticalement (cas le plus fréquent) ou latéralement.
Les clefs dogon sont presque toujours en bois avec des dents métalliques tandis que chez les Bambara elles sont le plus souvent entièrement métalliques.
- Les broches sont moins nombreuses chez les Bambara ou l'on compte en général 1 ou 2 broches contre 2 il 6 chez les Dogon.
- Les broches des serrures bambara sont plus grosses avec un diamètre supérieur il 5 mm alors que ce diamètre est, sur les serrures dogon, voisin de 2 mm.

C'est au début des années « quatre-vingt» qu'on a vu arriver en Europe de grandes quantités de serrures.