Les Bambara, principale ethnie du Mali, comptent environ 3,5
millions d'individus.
Ils sont présents sur un vaste territoire situé au sud d'une ligne
passant par les villes de Mopti et Kayes, à l'exception:
- à l'Ouest, des zones proches de la Guinée, peuplées de
Malinké;
- à l'Est, des zones voisines de la Cote d'Ivoire et du Burkina Faso
habitées, du Sud vers le Nord, par des Sénoufo, Bobo et Dogon
Les références:
Deux documents, basés sur des entretiens avec des forgerons et sur les
observations in situ de l'auteur, ont fourni l'essentiel des informations contenues
dans le présent article. Ils s'intitulent respectivement:
- Introduction il l’étude des serrures bambara par Paule Tési,
publié en 1972, à l'issue d'un séjour de trois mois passé
dans la région de Keleya. Ce village, situé à environ 100
km au sud de Bamako, sur la route de Bougouni, était considéré
comme un centre important de production de serrures.
- Door locks of the Bamana of Mali par Pascal James Imperato qui a présenté
dans un ouvrage publié en 2001 la synthèse de ses investigations
sur les serrures bambara.
Ces investigations ont débuté lors d'un séjour effectué
au Mali de 1966 à 1971 ou P.J. Imperato a résidé dans le
cadre d'un programme d'éradication de la variole. Elles se sont poursuivies
pendant près de deux décennies jusqu'en 1990 grâce à
plusieurs missions au Mali et aux informations complémentaires communiquées
par deux collaborateurs maliens.
Les enquêtes réalisées sur le terrain il y a plus de 30
ans auprès des « anciens» de cette époque confèrent
aux données collectées par ces deux auteurs une bonne fiabilité.
La réalisation aujourd'hui d'un travail similaire conduirait, en raison
de la disparition progressive des traditions, à des résultats
très aléatoires.
La description d'une serrure
Il existe, chez les Bambara, de nombreux termes pour désigner une serrure.
Le plus courant est « konbarabara » (littéralement «
protubérance de porte»).
Une serrure est constituée de deus pièces disposées en
croix comprenant un élément vertical, le coffre, fixé à
la porte à l’aide de deus fers et un élément horizontale,
la traverse ou le pêne.
Le pêne est creux afin de permettre l'introduction de la clef. Il comporte
dans sa partie supérieure, au contact avec le coffre:
- des petites cavités d'un diamètre de 6 à 8 mm dans lesquelles
s'engagent, lors de la fermeture, des broches en fer;
- une plaque métallique qui assure une protection contre une usure rapide
liée au fonctionnement de la serrure. La présence de cette plaque
n'est toutefois pas systématique; en particulier certaines serrures réalisées
en bois très dur n'en possèdent pas.
La traverse coulisse dans une cavité exécutée dans l'épaisseur
du coffre. Pour fermer la porte, la traverse est poussée à la
main et les broches appartenant au coffre tombent dans les cavités de
la traverse qui est alors bloquée. Dans le même temps, l'extrémité
gauche du pêne s'engage dans un trou pratiqué dans l'encadrement
de la porte qui est ainsi fermée.
Le nombre de broches par serrure varie d'un à quatre. On compte en général
deux broches sur les serrures anciennes tandis que les serrures les plus récentes
n'en comportent souvent qu'une seule.
La clef, entièrement métallique (cas le plus fréquent)
ou en bois avec des dents en fer, est engagée à l'autre extrémité
du pêne. Les dents de la clef, orientées vers le haut, repoussent
les broches en prenant leur place dans les petites cavités du pêne.
On peut alors, pour ouvrir, tirer horizontalement le pêne qui se dégage
du dormant de la porte.
La porte s'ouvre en général vers l'intérieur du local.
La serrure est fixée sur la partie gauche de la porte (très rarement
à droite). L'extrémité droite de la traverse est ouverte
afin de permettre l'introduction de la clef. L’aces de la clef dans la
traverse est soit vertical (cas le plus fréquent) grâce à
une cavité de section rectangulaire (environ 4 cm sur 2 cm) soit latéral
suivant l'axe de la traverse.
L'extrémité gauche du pêne présente une section réduite
et a la forme d'un cylindre, d'un cône ou d'une pyramide allongée
aux arêtes plus ou moins arrondies.
Les cavités qui reçoivent les broches du coffre sont en règle
générale alignées suivant l'axe longitudinal du pêne.
Mais certaines serrures, parmi les anciennes, possèdent deux cavités
placées perpendiculairement à cet axe.
Les dimensions courantes
La hauteur de l'élément vertical comprenant le coffre et le motif
sculpté varie entre 30 cm et 1 m (voire plus pour certaines représentations
de crocodile). Cet élément présente couramment une longueur
comprise entre 40 cm et sa cm. Sur les modèles les plus anciens la hauteur
totale est souvent inférieure à 40 cm.
La traverse est en général plus petite ou sensiblement de même
dimension; mais elle peut être plus grande, ce qui nuit à l'aspect
esthétique.
Les serrures remplaçantes, qui ont le plus souvent moins d'une vingtaine
d'années d'ancienneté*, sont en général plus grandes:
de l'ordre de 80 cm. Elles sont souvent plus « spectaculaires »,
comme celles qui représentent un personnage complet avec jambes et bras.
Certaines de ces serrures s'écartent nettement de la tradition pour avoir
été fabriquées à l'Artisanat de Bamako puis placées
« en élevage» en brousse afin d'y acquérir une «
patine d'usage» convenable.
À l'inverse de ce qu'on observe chez les Dogon, il n'est pas rare de
trouver chez les Bambara des serrures fabriquées en bois léger.
Toutefois elles sont en général exécutées dans un
bois dur, provenant selon P.J. Imperato d'essences comme le Ficus capensis (toro),
le Khaya senegalenszs (dala), le Caicedrat, le Diospyros mespiliformzs (sunsun),
le Lannea acida (bembe) et le Cola cor diJoUa (ntaba).
La propriété des serrures
Bien que les serrures puissent être utilisées aussi bien par les
hommes que par les femmes, les serrures appartiennent en propre souvent aux
femmes: on a identifié plusieurs circonstances d'attribution.
Elles peuvent être offertes aux femmes par leur mari, pares la naissance
du premier garçon. La pose de la serrure correspond alors, selon la tradition,
à l'accession pour l'épouse à un nouveau statut social,
celui de « femme majeure» c'est-à-dire de mère d'un
enfant mâle. Cette pose a lieu, lors de la cérémonie du
« senkuturu » ou les trois pierres du foyer qui symbolisent les
trois éléments (père-mère-enfant) de la famille,
sont placées dans la concession du mari.
D'autres serrures sont données par les maris en signe d'affection et
d'estime, lorsque les jeunes femmes s'installent dans le village de l'époux.
Une autre pratique consiste à remettre à la jeune fille une porte
avec sa serrure, au moment ou elle quitte la maison de ses parents, pour habiter
dans une case construite par le mari.
Ces serrures font partie des biens personnels' de la femme et sont transmissibles
aux héritiers de même sexe, en l'occurrence les filles et les brus.
1 Ce type de serrure est relativement courant, il représente,
d’après P.J. Imperato, la tête stylisée d'un ancêtre
masculin, figurée par une arête nasale au centre d'un visage triangulaire.
Il rappelle également à la fois le bonnet porté par le
prêtre de la socié-té du koto lors de la cérémonie
du bambada et les mâchoires ouvertes du crocodile. Cette serrure est caractérisée
par un motif sculpté de dimension voisine de celle du coffre et par une
épaisse croûte granuleuse noire. Elle paraît relativement
ancienne (fin 19 siècle ?) et proviendrait de la région du Djitoumou
(sud-est de Bamako, Cercle de Bamako). D'autres serrures du même type,
mais avec une tête plus petite ont été trouvées dans
l’arrondissement de Bougouni. On note la présence sur le coffre
et la traverse d'un décor géométrique dessinant un quadrillage
fin, complété par quelques incisions horizontales sur 1e nez du
personnage. La serrure possède 2 broches de fixation. L’introduction
de la clef est verticale. H : 48 cm
2 D'après Paule Tési cette serrure provient du
Banan (région de Keleya, Cercle de Bougouni). Selon la légende
elle aurait été sculptée à la demande de Nanténé,
une femme malheureuse au sein de sa famille, pour représenter sa vie.
Elle est caractérisée par une arête centrale dentelée,
est ornée de grandes croix dessinées a l'aide de 2 lignes parallèles,
au nombre de 3 sur le coffre et de 2 sur la traverse. La patine est noire. Il
existe 2 broches de fixation. L'introduction de la clef est verticale. H : 48
cm.
3 Cette élégante serrure, recouverte d'une patine
noire croûteuse, présente deux longues cornes qui encadrent une
tête dont les traits sont finement dessinés. Elle repose sur un
long cou légèrement saillant. L'ensemble du cou et des cornes
s'incline vers l'avant. Le coffre, ovale, est légèrement bombé
tandis que deux croix superposées, matérialisées par une
double incision, sont gravées sur toute sa longueur. Ce motif est rappelé
sur la partie gauche de la traverse dont le bord inférieur est nettement
incurvé en raison d'un long usage. Les broches de fixation, au nombre
de 3, ne sont pas alignées. L'introduction de la clef est verticale.
Le traitement du visage, la patine, la position des broches et l'usure de la
traverse témoignent de l'ancienneté de cette serrure (fin 19 siècle
?). H : 49cm.
4 Cette exceptionnelle serrure, sculptée comme une statuette,
représente un personnage féminin dont le buste allongé
a la forme d'un demi-cylindre. Les bras et les jambes dessinent un demi-cercle.
Le cou, conique dans sa partie supérieure, se prolonge d'une tête
étroite surmontée d'une crête ajourée. L'extrémité
droite de la traverse se termine par une rare tête de serpent, qui équilibre
l'élément cylindrique au dispositif de fermeture de la porte présent
a gauche. La patine est grise. Il n'existe qu'une seule broche de fixation.
L'introduction de la clef est verticale. Quelques fines incisions sont visibles
sur la traverse. En revanche le coffre ne possède aucun décor
gravé. La serrure fermait l'entrée d'une case collective du cercle
de Kita. On ne connaît que quelques exemplaires de ce type provenant tous
de la partie occidentale du pays bambara. H : 61 cm.
5 La serrure présente un personnage masculin coiffé
d'un chapeau à trois pans. Le visage stylisé est matérialisé
par une simple arête nasale. Le cou en relief rappelle les enseignements
du komo. Le coffre et la traverse ne comportent aucun décor pyrogravé.
Il existe 2 broches de fixation avec une introduction latérale de la
clef. Il semble que cette serrure réalisée dans un bois dur n'ait
jamais comporté de plaque métallique de protection sur la partie
supérieure de la traverse, en contact avec le coffre. La patine est noire
avec des zones de couleur brune à rougeâtre, liées à
l'usage, au droit des arêtes du nez et de la coiffe. H : 40cm.
6 Cette serrure trouvée dans la vallée du Bani,
entre les villes de San et de Djenné, est caractéristique des
fermetures bozo. Celles-ci présentent un personnage à face triangulaire
avec une arête nasale en fort relief, des yeux latéraux coniques,
un cou saillant, un large coffre avec un nombril proéminent et de courtes
jambes. Le coffre et la traverse sont richement décorés de motifs
géométriques. Il existe 5 broches de fixation. L'introduction
de la clef est latérale. Bien que d'origine bozo, cette serrure a été
choisie en raison de sa conception cubiste et de sa ressemblance avec les serrures
bambara. Toutefois la forme de la traverse, le nombre élevé de
broches (5) et le mode d'introduction de la clef rappellent plutôt les
serrures dogon. Cette double ressemblance a conduit certains auteurs à
attribuer à tort ce type soit aux Bambara (if. la publication du Rietberg
Museum sur les Bamana), soit aux Dogon (if, l'ouvrage publié en 2003
sur les Serrures du pays Dogon), H : 39 cm.
7 La tète stylisée de cette jolie serrure à
patine noire est fortement en relief. Elle émerge d'une base en U légèrement
ouverte orné latéralement de deux petites cornes recourbées
vers l'avant. Le cou est saillant. Le coffre et la traverse présentent
des pyrogravures très semblables faites de trois croix en double incision
avec des séries de lignes horizontales sur le coffre et verticales sur
la traverse. On dénombre 3 broches de fixation non alignées. L'introduction
de la clef est latérale. La finesse de la sculpture, sa taille et la
disposition des broches indiquent qu'il s'agit d'une serrure relativement ancienne
(fin 19 siècle ?). H :33cm
8 Cette serrure montre un personnage féminin avec une
poitrine légèrement bombée pour marquer les seins et un
corps étroit élargi au niveau des hanches. Le visage qui présente
un front hémisphérique et un nez triangulaire est caractéristique
de la statuaire bambara. La coiffe s'inscrit dans un cercle avec une arête
centrale au-dessus du crâne du personnage. Le cou est légèrement
saillant. On note 2 broches de fixation tandis que l'introduction de la clef
est verticale. La patine grise alterne avec une patine d'usage de couleur jaune
sur la tête et le haut du corps. Absence d'incisions sur le coffre et
la traverse. H: 46 cm.
L'utilisation
et l’exécution des serrures
Les serrures sont affectées à la fermeture de bâtiments
à usage civil ou religieux:
- les cases sanctuaires ou sont conservés les objets sacrés, les
reliques des ancêtres et les masques des sociétés de culte;
- les cases à usage domestique: les chambres à coucher, les greniers
et les cases-cuisine ou les femmes gardent leurs calebasses et autres ustensiles
ménagers.
Les serrures bambara étaient exécutées par les forgerons
à la demande d'un client. Le choix du motif sculpté et des pyrogravures
étaient le fait du client après avis du forgeron. D’après
P.J. Imperato elles n'étaient jamais exécutées puis proposés
à la vente sur les marchés, à l'inverse de ce qui a été
parfois observé pour les serrures dogon.
Le
symbolisme
Selon Viviana Pâque ("Les Samaké" Bulletin I.F.A.N. 1956)
: le coffre de la serrure représenterait la femme et le pêne l'homme.
La clef symboliserait l'entente des deux sexes et les broches la consommation
du mariage. Ainsi l'ensemble des éléments d'une serrure célèbre
le mariage et la fécondité du couple.
D’après Paule Tési, cette interprétation est confirmée
chez les Bambara par la forme de la traverse et par les termes utilisés:
- « ba » (mère) désigne le coffre de la serrure,
- «Ja » (père) désigne la traverse,
- la partie évidée du coffre ou circule le pêne s'appelle
« naka », c'est-à-dire le bas-ventre,
- la surface supérieure de la partie évidée est désignée
par « soroyoro », soit le vagin,
- les clous du coffre et les dents de la clef sont respec-tivement appelés
«Ja kili» (c'est-à-dire œuf de la mère) et «
ba kili» (c'est-à-dire œuf du père).
Ainsi l'introduction de la clef symboliserait la fécondation.
En outre, d’après Youssouf Cissé, les dents de la clef, traditionnellement au nombre de deux, représenteraient les hémipénis du margouillat, lézard appartenant à la cosmogonie des Bambara.
9 Cette serrure dont la coiffe du personnage retombe de part
et d'autre du visage en deux longues tresses avait probablement pour objet de
rappeler la légende de la reine Kaba Sira Kamara. Le visage, surmonté
par un front en demi-cercle, forme un petit trapèze dont le nez et la
bouche suivent l'axe central. Il est prolongé par un cou saillant. Le
coffre s'inscrit dans un rectangle; légèrement plus étroit
au centre il est partagé par une arête médiane et présente
de part et d'autre de cette arête deux surfaces gravées d'une double
ligne en zigzag formant un angle très ouvert. La traverse, faiblement
décorée, est bloquée par 2 broches de fixation; l'introduction
de la clef est verticale. Le rare motif sculpté présent à
l'extrémité droite de la traverse rappelle le petit cylindre du
sommet de la coiffe. H : 47 cm.
10 La tête du personnage est représentée
par une sphère presque parfaite avec la bouche en demi-cercle. L'absence
d'oreilles rappelle le dieu Faro qui n'en possédait pas. Le cou supporte
un goitre qui se projette vers l'avant à la manière des masques
Songyé. La partie inférieure du coffre se prolonge par deux jambes
sans pieds. Les broches de fixation sont au nombre de 2. L'introduction de la
clef est latérale. La traverse ne comporte pas de décor pyrogravé,
tandis que les dessins géométriques sur le coffre se limitent
à 4 groupes de 3 à 7 incisions horizontales. La patine est noire,
à l'exception de la tête et de l'extrémité du goitre
ou apparaît une patine d'usage de couleur brune. Provenance le Cercle
de Koulikoro. H : 39 cm.
11 Cette serrure semble provenir du même atelier que la
serrure n010. La moitié supérieure de la tête qui s'inscrit
dans une demi-sphere repose sur une base polyédrique. Un demi-cercle
figure la bouche. Le coffre, bombé, est divisé en trois surfaces
courbes séparées par des arêtes. La tête sans oreilles
rappelle le dieu Faro. De même la partie inférieure du coffre qui
symbolise une queue d'hirondelle, le messager du Faro, fait référence
au pouvoir du dieu. La patine est noire sauf sur la partie supérieure
de la tête et sur les arêtes du coffre ou apparaît une patine
d'usage brun rouge. Absence de pyrogravure. La fermeture est assurée
par 2 broches de fixation de la traverse. L'introduction de la clef est latérale.
Provenance: le Cercle de Koulikoro. H: 35 cm.
12 Cette serrure représente un personnage féminin.
Le visage dessine un cercle. Le nez et la bouche s'inscrivent dans un demi-ovale
en relief. Le cou rectiligne repose sur un buste hexagonal portant deux seins.
La patine est noire et croûteuse. La croûte masque le décor
gravé sur le coffre. Présence de deux croix sur la traverse. La
fermeture est assurée par 2 broches. L'introduction de la clef est verticale.
Provenance: l'arrondissement de Bougouni. H : 45 cm.
13 Cette serrure est caractérisée par une petite
tête à l'extrémité d'un long cou crénelé
et de très courtes jambes témoignant de la fantaisie du sculpteur.
Le coffre présente trois croix en triple incisions. Sur la traverse,
ces croix au nombre de deux sont complétées par des incisions
verticales. La patine est noire. L'introduction de la clef est verticale. Le
coffre possède 2 broches de fixation. H : 46 cm.
14 Cette serrure anthropo-zoomorphe présente une tête
s'inscrivant dans un quart de cercle encadré par deux cornes, un cou
cylindrique, un long coffre avec deux petits seins et une double échancrure
ou s’insèrent 2 traverses, et a la partie inférieure deux
courtes jambes. Tous ces éléments sont richement décorés
par des croix, des losanges et des incisions horizontales et verticales. La
patine est grise. L'introduction des clefs est horizontale. Les serrures présentant
une double traverse ne sont pas fréquentes chez les Bambara. Chaque traverse
est ici fermée à l’aide de 3 broches dont l'écartement
n'est pas identique. Cette serrure permettait probablement d'accéder
à une case collective et l'ouverture de la porte sur laquelle la serrure
était fixée devait nécessiter l'utilisation de 2 clefs
différentes et la présence de deux personnes. Provenance: le Cercle
de San. H : 57 cm.
15 Cette serrure est chargée de symboles: la tête
triangulaire représente le bonnet du prêtre du komo lors de la
cérémonie du bandama, et les mâchoires du crocodile; le
cou saillant fait référence aux enseignements du komo; la partie
inférieure rappelle la queue du scorpion et les circonstances de la mort
de Mousso Koroni, personnage mythologique bambara. Le coffre est demi-cylindrique.
Seule la traverse est décorée. Les incisions dessinent des croix
et des quadrillages. La patine est grise, l'introduction de la clef verticale.
Il y a 2 broches de fixation. H : 54 cm.
16 Cette serrure montre un personnage féminin dont la
tête, réalisée dans un style cubiste, est typique de la
statuaire bambara. Des incisions horizontales, verticales ou obliques caractérisent
le coffre et la traverse. La fermeture est assurée par 2 broches, l'introduction
de la clef est verticale, la patine est grise. H: 38 cm.
La sculpture et les décors pyrograves
En règle générale, toute serrure comporte une sculpture
et un ensemble abstrait de signes géométriques.
Un motif sculpté est toujours présent à la partie supérieure
du coffre. Ce motif est anthropomorphe, animalier ou abstrait; il peut aussi
symboliser un objet. Les animaux les plus représentés sont le
crocodile, le lézard, l'iguane et la tortue. On peut également
reconnaître un hibou, un papillon, une chauve-souris, un escargot ou un
poisson.
Il existe une très grande variété de motifs sculptés
en raison de la dispersion géographique des Bambara et surtout du très
grand nombre de symboles représentés. De nombreuses serrures sont
associées aux principales sociétés initiatiques, bases
de la formation civique et religieuse des individus. Ainsi, une serrure peut
avoir pour objet de rappeler le savoir ésotérique du komo, la
cosmogonie, l'histoire ou la mythologie, l'organisation sociale...
Certaines serrures représentent un héros, un personnage historique,
un génie de la brousse, un animal appartenant au panthéon de la
religion...
Sur le coffre et sur le pêne figure un décor abstrait, gravé
au fer rouge. Les pyrogravures de la traverse rappellent en règle générale
celles du coffre qui est souvent plus richement décoré. Elles
sont liées aux croyances et aux valeurs des Bambara et ne répondent
pas à un objectif esthétique. Leur présence n'est toutefois
pas systématique et certaines serrures n'en possèdent pas. Dans
certains cas seul le coffre ou la traverse est gravé.
La connaissance de ces signes est acquise au cours des enseignements traditionnels
des sociétés initiatiques, en particulier ceux du komo et du kore.
Ils sont lisibles par les seuls initiés.
Certains types de pyrogravure devaient nécessairement figurer sur les
serrures appartenant aux femmes, dont elles garantissaient la fécondité.
La croix en X couchée ou verticale, à simple, double ou triple
incision et les quadrillages à base de losanges constituent les dessins
les plus couramment reproduits.
La croix représente à la fois l'univers et l 'homme ainsi que
la fertilité et les quatre directions de l'espace céleste. Le
quadrillage représente les eaux créatrices, les fluides de la
procréation et également les quatre points cardinaux.
L'aspect fonctionnel et utilitaire des serrures est secon-daire, comparé
aux nombreuses autres fonctions. Elles ont le pouvoir de lutter contre la sorcellerie
et les forces du mal; elles ont un rôle éducatif ou philosophique;
elles peuvent rappeler un événement historique, certains conflits
sociaux, les légendes de la création de l'Univers ou les croyances
religieuses. Par leur fonction éducative, elles créent un lien
entre les générations. Elles expriment et concentrent la philosophie
et les croyances intimes des Bambara concentrent la philosophie et les croyances
intimes des Bambara.
Les principaux thèmes évoques
De nombreuses serrures représentent le bonnet porté
par le prêtre de la société du komo lors de la cérémonie
du « bambada » ou « gueule de crocodile» (se reporter
à la photo n° 1). Cet animal qui appartient à la mythologie
des Bambara est étroitement associé à la société
initiatique du komo et à ses pouvoirs contre la sorcellerie et les puissan-ces
maléfiques.
Les figurations humaines font référence à un ancêtre,
à un héros dont on veut célébrer les exploits, à
un personnage historique ou de la mythologie des Bambara...
Certaines sculptures rappellent la dynastie des rois Keita de Kaba. D' apres
Paule Tési, elles ont été exécutées en l'honneur
de la reine Kaba Sira Kamara, femme exceptionnelle décrite dans les fables
et contes traditionnels. Selon le désir de la reine la serrure évoque
sa coiffeuse attitrée, Marama Bagayoro, coiffée du « tamamba
» (littéralement « les grandes tempes»). Cette coiffure,
spécialité de Marama, qui présente deux longues tresses
retombant de part et d'autre du visage, comme sur la serrure n° 9, constitue
un thème récurrent de la statuaire bambara.
D'autres représentations féminines rappellent « Mouso Koroni
Kounjé » (littéralement la petite vieille femme à
la tête blanche), personnage mythique qui lors de la Création se
révolta contre Dieu et dont les excentricités ont engendré
des désordres et des malheurs dans l'univers. Elle mourut de la piqûre
d'un scorpion.
Certaines serrures comportent à la partie inférieure du coffre
un motif qui symbolise la queue du scorpion et rappelle les circonstances de
la mort de Mouso Koror1i (if. photo n° 15).
Certains thèmes matérialisent un personnage masculin qui peut
être un héros légendaire, un ancêtre célèbre,
un acteur des fables et contes bambara. Ce personnage peut être présenté
avec ou sans oreilles. L'exécution d'une tête ronde sans oreilles
fait alors référence au dieu Faro qui n'en possédait pas.
Faro est une divinité, le maître de l'eau, qui apporte un équilibre
et une harmonie au monde et à la vie des hommes.
Le crocodile ou le lézard, animaux liés au dieu Faro, figure sur
de nombreuses serrures. Le crocodile est associé au « Faro»
lors de la Création. Il symbolise la puissance de ce dieu, assure la
protection contre les forces du mal et favorise la fertilité, la santé
et le bonheur.
Les serrures qui évoquent le thème de l'orphelin sont destinées
à rappeler les devoirs d'assistance que se doivent les membres d'une
même communauté. Le motif sculpté est alors caractérisé
par le bonnet à trois pans et le collier que portait l'orphelin. La serrure
n° 5 qui présente un bonnet à trois pans avait peut-être
pour objet de rappeler ce thème, malgré l'absence du collier.
Parmi les formes symboliques couramment rencontrées il faut mentionner:
- le cou saillant qui a pour objet de rappeler le savoir et les enseignements
du komo ;
- les motifs triangulaires exécutés à la partie inférieure
du coffre qui évoquent la tête du python, symbole de puissance
et de protection contre la sorcellerie;
- les cornes de part et d'autre d'une tête humaine qui peuvent représenter
soit les ailes de papillon, animal mythique que Dieu a transformé en
une des plus légères et futiles créatures pour le punir
de sa prétention, soit deux mâchoires de crocodile, soit des tentacules
d'escargot, animal inoffensif associé à la société
d'initiation du kore qui enseigne aux hommes qu'ils subiront de nombreuses réincarnations
(les initiés du kore sont l'objet de morts symboliques, qui comme les
tentacules de l'escargot ne provoquent aucun dommage physique), soit d'autres
thèmes...
L'extrême symbolisme des formes, la fantaisie et l'imagination des artistes
ainsi que la perte des traditions rendant actuellement très délicate
la collecte d'informations fiables sur le terrain, font qu'il est souvent difficile
de comprendre la signification d'une serrure et que plusieurs interprétations
sont possibles.
17 Le motif sculpté est antropo-zoomorphe. Le visage,
qui s'inscrit dans un demi-ovale avec un nez triangulaire et une petite bouche
rectiligne, est encadré de deux cornes. La tête repose sur un cou
de forme hexagonale. Le motif triangulaire situe à l’extrémité
inférieure du coffre symbolise la tête du python, qui assure une
protection contre la sorcellerie et les forces du mal. Seul le coffre est pyrogravé.
Le décor est constitué de deux quadrillages fins limités
par des incisions horizontales. La serrure est recouverte d'une croûte
noire. La fermeture est assurée par 2 broches. L'introduction de la clef
est verticale. H :45 cm.
18 La tête du personnage est surmontée d'une coiffe
triangulaire percée de 5 trous qui devaient permettre d'accrocher des
éléments décoratifs. Elle repose sur un long cou saillant.
Le coffre rectangulaire porte à la partie inférieure deux petites
jambes. La patine est noire, croûteuse, la fermeture assurée par
2 broches avec introduction verticale de la clef. H : 41 cm.
19 Cet exemple de serrure ni anthropomorphe ni animalière
présente un motif sculpté qui rappelle une écuelle. Absence
de dessins géométriques sur le coffre et sur la traverse. Une
patine d'usage alterne avec une patine noire légèrement croûteuse.
La fermeture est assurée par 2 broches. L'introduction de la clef est
verticale. H : 42 cm.
20 Cette étonnante serrure représente un personnage
féminin avec des symboles animaliers. La tête montre une bouche
largement ouverte, deux éléments métalliques au fond des
yeux et une petite crête horizontale. Elle est encadrée par deux
ailes de papillon et repose sur un cou constitué d'un double cône.
La partie inférieure du coffre, bombée, constitue le ventre du
personnage. Elle est surmontée d'un buste trapézoïdal portant
deux seins. La sculpture sous le coffre a la forme d'une queue d'hirondelle
qui, dans la mythologie bambara, est le messager du dieu Faro. Seule la partie
bombée du coffre possède des dessins géométriques.
Une patine d'usage apparaît sur la tête, le coffre et la traverse.
La fermeture est assurée par 2 broches. L'introduction de la clef est
latérale. H : 35 cm.
La comparaison avec les serrures dogon
Les serrures dogon présentent des motifs sculptés qui peuvent
être très spécifiques aux Dogon (comme le couple assis au
sommet du coffre) ou des sculptures qui rappel-lent les serrures bambara. Dans
ce cas, l'attribution de la serrure est possible en observant la traverse et
ses broches de fixation:
- l'extrémité gauche de la traverse est étroite chez les
Bambara alors que les traverses dogon s'inscrivent grosso modo dans un rectangle.
- Les pênes dogon sont toujours ouverts à leur extrémité
droite pour une introduction latérale de la clef alors que chez les Bambara
la clef peut être introduite verticalement (cas le plus fréquent)
ou latéralement.
Les clefs dogon sont presque toujours en bois avec des dents métalliques
tandis que chez les Bambara elles sont le plus souvent entièrement métalliques.
- Les broches sont moins nombreuses chez les Bambara ou l'on compte en général
1 ou 2 broches contre 2 il 6 chez les Dogon.
- Les broches des serrures bambara sont plus grosses avec un diamètre
supérieur il 5 mm alors que ce diamètre est, sur les serrures
dogon, voisin de 2 mm.
C'est au début des années « quatre-vingt» qu'on a vu arriver en Europe de grandes quantités de serrures.