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INTRODUCTION
L’art traditionnel d’Afrique équatoriale est d’une
grande richesse et d’une grande diversité. Une région se
distingue particulièrement par ses figures de reliquaire en bois plaqué
de cuivre (1). Elle se localise en grande partie à l’est du Gabon
en chevauchant toutefois une partie du territoire de la République du
Congo, appelée communément Congo Brazza. L’art dont il s’agit
est celui dit “ kota ”, justement réputé pour sa qualité
et l’abstraction de ses formes. En réalité, et nous y reviendrons
plus loin, le terme kota est utilisé par simplification, englobant plusieurs
ethnies possédant des affinités communes. Pour notre part, nous
nous intéresserons dans ces pages à tous les objets anciens de
culte recouverts de cuivre de la “ zone ” kota en y incluant les
figures de reliquaire des Masango, ethnie voisine dont le culte des morts est
également caractérisé par des figures utilisant ce métal.
Selon les peuples concernés, ces objets sont appelés bwété,
mboy, mbulu-ngulu ou encore mbumha. A ce jour, les tentatives d’étude
et de classification ont abouti à des résultats grossièrement
comparables. il faut tout d’abord souligner que les travaux ayant un but
typologique sont très peu nombreux sur ce sujet. Citons en particulier
ceux de Louis Perrois, d’Alain et Françoise Chaffin et d’Ingeborg
Bolz (2).
En raison de la pauvreté et du manque de fiabilité des informations
relatives aux figures étudiées, les typologies qui ont été
élaborées jusqu’à présent sont essentiellement
descriptives. Les auteurs qui ont réfléchi à la question
ont été obligés de se limiter à l’étude
comparative des formes d’ensemble et des ornementations. On se rend rapidement
compte combien il est hasardeux d’essayer de dégager des relations
précises avec les sous-groupes ethniques, à plus forte raison
avec les villages et avec les époques. C’est à cette difficulté
que se sont heurtés nos prédécesseurs: Alain et Françoise
Chaffin se sont penchés sur un nombre important de pièces et ont
fait un minutieux travail d’étude des formes et caractéristiques
diverses ainsi que des différents éléments de la décoration.
Mais ils admettent eux-mêmes que ce classement, reposant sur les indices
faciaux ou les proportions, ne paraît pas apporter de solution satisfaisante
pour dégager les grandes lignes de cet art kota (3). Ils ne semblent
pas avoir pris en compte les bons éléments permettant de lier
entre elles les différentes formes et cela a abouti à certaines
anomalies dans leur catalogue et c’est dommage. La classification que
propose Louis Perrois, quant à elle, ne paraît pas plus évidente,
au niveau des relations entre les sept catégories qu’il propose.
Il est essentiel que le travail de classification permette justement de bien
saisir l’évolution d’une forme vers une autre. Ainsi peut-on
imaginer de dépasser le simple stade de la description et de la classification
pour atteindre celui d’une véritable typologie “ évolutive
”. Notre réflexion montre que l’ensemble des formes de figures
de reliquaire kota paraît bien se prêter à une telle entreprise
et si l’on en trouvait la “ clé ”, le résultat
pourrait s’avérer étonnant.
Pour avancer de façon plus sûre dans ce délicat sujet, nous
avons sollicité les conseils de Jean-Claude Andrault qui a dirigé
pendant de longues années un hôpital dans cette province du Haut-Ogooué,
au cœur du pays kota. Homme infatigable, -passionnant et passionné,
notamment d’art africain, il a parcouru cette région de long en
large à la recherche des vestiges et de la compréhension de l’art
de ce peuple. La renommée de ses talents de médecin lui a certainement
ouvert bien des portes, même dans les coins les plus reculés de
brousse. Qu’il soit remercié pour son aide et son expérience
précieuses.
L’objectif que nous nous sommes donc fixé est, partant des travaux
de nos prédécesseurs (4) en en tirant la matière pour notre
recherche, d’essayer d’aller un peu plus loin et de faire apparaître
une typologie “ dynamique ”, permettant (peut-être!) de porter
un éclairage sur les relations des types entre eux, essentiellement pour
les reliquaires des Kota du sud dont le classement actuel semble le plus confus;
bien d’autres questions se posent encore et, plutôt que des réponses,
nous essayerons d’y apporter des éléments de réflexion;
par exemple:
- Peut-on associer des types bien précis à des ethnies? Cette
question a déjà reçu des éléments de réponses
et l’on s’accorde aujourd’hui à attribuer tel type
d’objet à telle ethnie. Mais le flou subsiste toujours dans le
détail et les attributions sont parfois contradictoires.
- On se rend compte également que des styles différents cohabitent
au sein d’une même ethnie. Quelles en sont les raisons ? Sont-ils
destinés à des usages différents? Ou bien a-t-on plusieurs
écoles artistiques coexistant en un même lieu?
- A ce sujet, peut-on reconnaître la “ patte ” d’un
artiste sur certains objets. Ces artistes ont-ils une signature ? - La forme,
l’ornementation ont-elles un sens clanique ou rituel précis? Sont-elles
dues uniquement à la fantaisie ou à l’imagination de l’exécutant?
- Quelle est l’origine de cet art? Jusqu’où faut-il remonter,
aussi bien dans le temps que géographiquement, pour en retrouver les
racines et pourquoi associe-t-il toujours le cuivre?
Plus on s’avance dans le sujet, plus les questions se multiplient et nous
verrons par la suite que nous en soulèverons d’autres... On s’apercevra
sans doute qu’il est difficile d’y répondre en travaillant
uniquement sur les objets (et plus souvent sur leurs photos...) coupés
de leur contexte et même de leur époque d’utilisation. L’enquête,
pour être valable, doit être prolongée sur le terrain. Et,
comme le culte attaché aux reliquaires kota ne semble plus se pratiquer
qu’exceptionnellement en de rares endroits, on mesure la difficulté
de la tâche. A notre avis, la meilleure méthode consisterait à
se fondre à l’univers kota, à vivre plusieurs années
parmi ces gens et à se hâter de recueillir les témoignages
des derniers anciens, dépositaires de la tradition. Ils sont rares mais
il en existe toujours.
Ainsi, au-delà de la simple approche descriptive mais déjà
intéressante, ne pourrait-on esquisser quelques idées sur l’origine
de cet art extrêmement pur, achevé, qui nous est jeté comme
un défi par ces paysans guerriers d’Afrique équatoriale
que d’aucuns considèrent comme des peuples primitifs ? Nous l’avons
souligné: les interrogations sont nombreuses et la tâche ardue;
mais quelques réponses peuvent être entrevues...
LE CADRE DU SUJET
Dans un premier temps, nous brosserons les caractéristiques du groupe
kota, en résumant les acquis des études antérieures.
DÉFINITION S. L. DU GROUPE KOTA
Dans le domaine de l’art traditionnel africain, la désignation
“ art kota ” s’applique à des groupes ethniques aux
diversités bien marquées mais se caractérisant toutefois
par une forte identité linguistique et culturelle. On distingue les sous-groupes
suivants:
Au nord: les Bakota (s.s.), Mahongwé, Shaké, Ndambomo, Shamaye.
Au sud: les Obamba (Mbédé) , Mindoumou, Bakanigui, Bawumbu, Mindassa,
et Bakélé. Nous remarquerons que les aléas de leurs migrations
et de leurs conflits au XVIIIe siècle et au début du XIXe ont
conduit les ethnies méridionales (dans leur position actuelle) à
se trouver éclatées de façon peu homogène: on trouvera
aussi bien des Obamba vers la rivière Sébé au nord de Franceville
qu’en direction de Sibiti au Congo. De la même façon, les
Mindassa sont représentés près de l’Ogooué
dans la région de Mounana mais aussi au Congo en allant sur Zanaga.
On pourrait s’étonner de voir les Obamba qui, d’un point
de vue ethnique, sont les principaux représentants du groupe mbédé
dont les reliquaires sont parmi les plus célèbres, être
catalogués parmi les Kota. Les Obamba, pour leur part, ne se reconnaissent
pas pour des Kota. Certains auteurs ont également émis de sérieuses
réserves quant à leur apparentement à ce groupe (5); mais,
sur le plan de l’art qui nous intéresse de prime abord dans cette
note, nous devons reconnaître que nous avons à faire à des
groupes ethniques présentant de nombreuses similitudes dans leurs origines,
leurs langues et ayant surtout en commun de pratiquer un culte des ancêtres
avec des figures de reliquaire plaquées de cuivre. Il est donc commode
de les regrouper sous le vocable “ kota ” pour lequel nous garderons
à l’esprit qu’il est utilisé au sens large, tout en
reconnaissant que les Kota au sens strict ne constituent qu’une des composantes
de cette grande famille culturelle.
Localisés au sud-ouest de Lastoursville, les Masango, quant à
eux, et comme nous l’avons noté infra, ne sontpas directement apparentés
aux Kota. Là aussi, les spécialistes s’étonneraient
à juste titre de les voir associés à l’appellation
“ Kota ”. Bien qu’ils se démarquent nettement par leur
taille et leur allure des autres figures kota, il n’en reste pas moins
que leurs mbumba conservent des similitudes très nettes: visage recouvert
de lamelles de cuivre, long cou prolongé par une structure en losange.
Il est donc logique de ne pas les exclure d’une recherche qui, rappelons-le,
ne vise pas les Kota au sens strict mais “ l'art dit kota ”.
Fig. 1 : en plein cœur du pays kota, le village de Tébé
en 1972 (photo G. Delorme).
IMPLANTATION GÉOGRAPHIQUE
Les Kota sont installés actuellement à l’Est du Gabon, débordant
toutefois de façon assez importante au Congo Brazza. De façon
schématique, ils occupent toute la portion de territoire située
entre le fleuve Ogooué et la rivière Ivindo, prolongée
par son affluent la Djouah, à l’est du confluent de ces deux grands
cours d’eau. Vers le nord-est, le pays kota s’étale largement
au Congo Brazza en amont du bassin de la Likouala. Plus au sud, par contre,
le pays se rétrécit au niveau de Franceville, coincé à
l’est par les territoires occupés par les Téké (avec
lesquels ils ont des contacts étroits) et à l’ouest par
ceux occupés par les Bandjabi et les Batsangui. Il développe de
la sorte un pédoncule qui pénètre largement au Congo Brazza
pour s’arrêter un peu plus au nord de Sibiti (cf. Pl.1). Ainsi défini,
le pays kota couvre, selon Perrois, un peu plus de 70000 km², soit environ
le quart de la superficie du Gabon(6).
ÉLÉMENTS STATISTIQUES SUR LA POPULATION KOTA
Evidemment, ces éléments ne concernent que les époques
relativement récentes et il n’est pas possible d’évaluer
ce que pouvaient être ces populations, ne serait-ce qu’à
la fin du XIXe siècle. On sait simplement que leur répartition
était plus dispersée et que les villages pouvaient présenter
une taille supérieure à ce qu’elle est actuellement. Nous
reprenons donc les données de 1961 du Service National de la Statistique
à Libreville rapportées par Perrois (7). En 1961, on dénombre
ainsi 41 671 Kota restés dans leur région sur un total de 48506
sur l’ensemble du territoire gabonais où l’on recense à
ce moment-là une population totale de 456300 habitants. En ce qui concerne
les Kota vivant au Congo Brazza, les données sont moins précises.
D’après les estimations de Mgr Adam, ancien évêque
de Franceville et spécialiste réputé des Mbédé,
il faut compter dans ce pays environ 38000 Kota ce qui porte le total de la
population kota vivant au pays à près de 80000 personnes. Perrois
évalue la densité de population à un peu moins de 1 habitant
par km². Comme on peut s’en douter, cette population n’est
pas répartie de façon homogène sur les 70000 km² du
pays kota. Elle se regroupe dans de petits villages éparpillés
le long d’un réseau routier squelettique. En dehors des routes
et à l’exception de campements de chasse temporaires, la plus grande
partie de ces régions est quasiment vide. Pour le Gabon (nous ne disposons
malheureusement pas de chiffres pour le Congo).
Perrois estime le nombre de villages à environ 500 (avec une moyenne
d’habitants par village de l’ordre de 100).
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