Courrier international 21/05/04
Les éditeurs des journaux paraissant au Katanga, dans le sud-est de la
république démocratique du Congo (RDC), sont inquiets. Ils ont
peur d'être accusés de favoriser l'entrée illégale
des Congolais en Europe. Ces derniers temps, en effet, pour obtenir le droit
d'asile, des clandestins brandissent des coupures de journaux de cette région,
attestant qu'ils sont pourchassés pour leurs opinions politiques ou qu'ils
ont été emprisonnés sans procès. Ces sans-papiers
ne manquent pas d'arguments. Certains se disent traqués parce qu'ils
sont nés d'un père tutsi rwandais et d'une mère luba congolaise.
D'autres prétendent être poursuivis par le régime de Kabila
parce qu'un membre de leur tribu, Katebe Katoto, dans le sud du Katanga, a fait
alliance avec les ex-rebelles congolais soutenus par le Rwanda, dans l'est du
pays. A Kinshasa, depuis plusieurs années déjà, des journalistes
peu scrupuleux se font payer par des candidats à l'émigration
pour écrire des articles racontant que ceux-ci sont menacés par
le régime en place, afin de justifier une demande d'asile politique.
Au Katanga, les émigrés écrivent eux-mêmes les articles
et les font passer pour des informations publiées par les journaux. Editrice
du journal Esther, Maguy Kikontwe estime que l'absence de journaux en ligne
favorise les contrefaçons. Selon elle, "ce n'est pas possible de
pirater un journal présent sur le web car on peut se faire prendre très
vite". Diffusés uniquement à Lubumbashi [capitale du Katanga]
et à très peu d'exemplaires, ces titres sont introuvables à
l'extérieur, ce qui facilite leur piratage. Les Occidentaux ne sont pas
dupes pour autant. Pour vérifier l'authenticité de ces articles,
ils interrogent souvent les ONG de défense des droits de l'homme. "L'Office
canadien des réfugiés, à Montréal, au Canada, nous
a par exemple récemment demandé si le journal Le Lushois existait
bien à Lubumbashi", témoigne Dieudonné Been Masudi,
directeur exécutif du Centre des droits de l'homme de cette ville. "Ils
nous ont demandé de leur trouver des exemplaires du Lushois datant de
juillet 2003." Outre les services chargés des dossiers des réfugiés,
"les avocats de certains clandestins de Belgique et des Etats-Unis, poursuit
Been Masudi, nous contactent régulièrement pour vérifier
certaines dépositions de leurs clients. Même Amnesty International
nous a écrit de Londres dans le cadre d'une enquête sur des demandeurs
d'asile congolais." Les autorités des pays européens sont
de moins en moins enclines à ajouter foi à ces prétendues
preuves de persécution. Articles de complaisance ou fabriqués
de toutes pièces ne convainquent plus les organismes chargés d'étudier
les dossiers des demandeurs d'asile. Selon Jérôme Camus, de la
commission de recours des réfugiés, à Paris, le stratagème
est désormais bien connu. Ces "preuves" ne suffisent plus pour
obtenir l'asile politique. Les éditeurs katangais, eux, sont embarrassés.
L'éditeur du Devoir, Jean-Pierre Lenge, a reçu une lettre d'un
conseiller de l'Immigration Advisory Service, au Royaume-Uni, l'interrogeant
sur son journal. "Reconnaissez-vous en votre âme et conscience, lui
demandait-il, avoir publié en 2003 l'article dont vous trouverez une
copie en annexe ?" Après vérification, il a constaté
qu'il s'agissait d'un faux. "Je leur ai dit que ce demandeur d'asile était
un escroc, poursuit cet éditeur, car nous n'avons jamais écrit
dans notre journal que la vie de ce monsieur du Nord-Kivu était en danger."
Noé Ngoy Kikungula, éditeur du Lushois, a connu à plusieurs
reprises la même mésaventure. Depuis le début de l'année,
il a été contacté par un organisme basé à
Genève et par le ministère des Affaires étrangères
belge. "Je n'ai pas caché mon indignation et j'ai dit haut et fort
au téléphone que mon journal n'avait jamais publié un article
sur ces clandestins qui prétendent être en insécurité
en RDC." Face à ces escroqueries dont ils sont aussi les victimes,
les éditeurs, désemparés, craignent de se voir accusés
de complicité dans un "trafic d'êtres humains", selon
les termes employés en Europe.
Bethuel Kasamwa-Tuseko